« « S’il n’y était plus ? se disait martin. Si on l’avait découvert ? »

En général, cette pensée emportait ses dernières hésitations. Il se jetait à l’intérieur, écartait les branches du sureau qui cachait, dans un creux de la muraille, son trésor interdit : une cage en verges de saule tressées.

Dans cette cage, le plus beau faucon hobereau que seigneur pût désirer : une tête fine ornée de deux moustaches noires ; un ventre ivoire rayé de sombre ; des pattes jaune vif dont les serres égratignaient l’écorce du perchoir ; des ailes, surtout, magnifiques, longues, pointues, bordées d’encre.

« Tu es brave, mon faucon ! »

Martin ne pouvait contenir sa fierté. Lui, le petit serf aux pieds nus, il enlevait son surcot, l’enroulait autour de sa main, ouvrait la cage et recevait sur son poing le rapace dompté.

« Viens, mon doux, viens, tu vas manger. »

Un soir comme tous les autres soirs. Il faisait presque nuit. Près de la ruine, la mare reflétait le ciel encore clair entre les feuillages. Le soleil s’était longtemps attardé à la crête des collines mais il avait disparu enfin. Le seigneur était rentré de la chasse. Il y avait même, ce soir-là, un troubadour au château. Martin l’avait rencontré en chemin. Que pouvaient craindre les deux amis ?

« Va, mon beau, va ! Et reviens ! »

Le hobereau déploya ses ailes et cela fit un froissement soyeux à peine perceptible. Déjà, il s’était enlevé. Plus rapide que le martinet qui allait y perdre la vie, plus silencieux que la chauve-souris engloutie en plein vol, il sillonnait le ciel.

Martin le suivait des yeux, taraudé d’incertitude quand il se fondait dans l’air du soir, plus alarmé encore quand il volait en direction du village où les gens du château pouvaient le remarquer.

« Pourquoi va-t-il si loin ? Il se fera découvrir ! »

Le jeune garçon modula un sifflement très doux, très long, qui était un ordre pour l’oiseau. Puis il attendit. D’interminables secondes. Une amitié se jouait en ce temps si court qui paraissait un siècle à Martin.

« Reviendra-t-il… ? S’il ne revenait pas… ? On dit les hobereaux fantasques. Maints d’entre eux ont résisté au dressage. Peut-être l’ami va-t-il préférer la liberté. »

Martin sentait son cœur qui battait, qui battait. Il fixait le ciel de plus en plus sombre, il attendait. Cette attente inquiète, renouvelée tous les soirs, l’épuisait et l’excitait comme un jeu dangereux.

Et puis son cœur se dénoua. Ses yeux, douloureux de tant fixer la nuit, retrouvèrent le battement de leurs paupières.

Car un point sortait de l’ombre, plus noir qu’elle. Il grossit, il grossit, il prit forme. Il avait deux ailes ! Il approchait !

« C’est lui ! »

Martin, gonflé de joie, tendit son bras et reçut le faucon qui s’y posa en silence.

« Tu m’as fait peur, grand diable ! Tu me fais toujours peur ! »

D’un doigt, il lissa les plumes de la tête, sur cette traînée plus claire, au-dessus de l'oeil qui ressemblait à un sourcil froncé. L’oiseau se laissa caresser. Il avait mangé à satiété, il était repu, et cette amitié qu’il donnait, il l’avait librement consentie. »


Le faucon déniché de Jean-Côme Noguès
(Le livre de poche - HACHETTE Jeunesse)