Extrait
n°1 :
«Dans
la fauconnerie, elle alla droit au perchoir, enfilant son vieux
gantelet et prenant Preciosa sur son bras. De sa main libre, elle
caressa la poitrine de loiseau avec la plume réservée
à cet usage le contact dune main sur les plumes
leur enlèverait leur enduit protecteur et les abîmerait.
Preciosa sentit son agitation et remua sur son poignet, et Romilly
fit un effort pour se calmer, puis prit le leurre et fit signe
à Ker.
- Tu as de la viande fraîche pour Preciosa ?
- Oui, damisela. Je viens de faire tuer un pigeon pour la table
et jai gardé toutes les viscères pour elle ;
ils ne sont pas sortis du pigeon depuis plus de dix minutes, dit
Ker.
Elle
renifla la viande, soupçonneuse, puis la répartit
sur le leurre. Preciosa, sentant la viande fraîche, sagita
un peu et battit des ailes. Romilly lui parla dun ton apaisant,
puis se mit en marche, donnant un coup de pied dans sa jupe. Elle
alla au manège, détacha les longes et fit tournoyer
le leurre au-dessus de sa tête ; Preciosa sélança,
le recul rabattant la main de Romilly, monta très haut,
puis piqua sur le leurre, quelle saisit avant de quil
ne touche terre. Romilly la laissa manger en paix quelques instants
avant de siffler la réclame avec le petit sifflet de fauconnier
que loiseau devait apprendre à associer avec sa nourriture,
puis le chaperonna. Elle tendit le leurre à Ker en disant :
- Fais-le tourner ; je veux la regarder voler.
Docile,
lapprenti prit le leurre et le fit tournoyer au-dessus de
sa tête ; de nouveau, Romilly décoiffa le faucon,
le regarda voler, puis, à la réclame, piquer sur
lappât volant. Elle répéta la manuvre
encore deux fois, puis laissa le faucon finir son repas en paix,
avant de la chaperonner et de le ramener à son perchoir.
De nouveau, elle le caressa tendrement de la plume, lui roucoulant
des paroles damour, sentant lamitié et la satisfaction
du faucon rassasié. Preciosa apprenait vite. Bientôt,
elle volerait librement, attraperait ses propres proies puis reviendrait
se poser sur son poignet
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Extrait
n°2 :
«Elle
se débattit avec les lignes et les leurres, gênée
par le poids de Preciosa sur son poignet.
- Pour lamour du ciel, Darren, ne peux-tu pas la tenir un
instant ? Sinon, par charité, fixe au moins la viande
sur la ligne elle la sent et on ne pourra bientôt
plus la maîtriser !
- Je la prendrai, si vous voulez bien me la confier, dit Aldéric
en tendant le bras. Veux-tu venir avec moi, ma belle ?
Avec
précaution, il transféra le faucon énervé
du poignet de Romilly sur le sien.
- Comment l'appelez-vous? Preciosa? Cela te va bien, n'est-ce
pas, ma précieuse.
Romilly regarda avec jalousie le faucon chaperonné s'installer
confortablement sur le poignet d'Alderic ; mais Preciosa semblait
contente, et Romilly se mit en devoir d'enrouler la ligne autour
des lambeaux de viande, pour que Preciosa ne puisse pas les arracher
trop facilement et soit obligée de revenir au sol pour
manger, ainsi qu'un bon faucon de chasse devait le faire. Les
faucons mal dressés tendaient à arracher la viande
au leurre en plein vol, ce qui était un mauvais entraînement
pour la chasse. On devait leur enseigner à apporter proie
au sol à leur maître et à attendre qu'on leur
donne leur part à la main.
-
Donne-moi la ligne et les leurres, dit Darren. A défaut
de mieux, je peux toujours la lancer...
Romilly la lui tendit avec soulagement.
- Merci, tu es plus grand que moi, tu peux la faire tournoyer
plus haut, dit-elle, reprenant Preciosa sur son poignet.
D'une
main, elle la décoiffa et leva le bras pour la lancer.
Traînant ses longes derrière elle, elle s'éleva
de plus en plus haut - arrivée au bout des longes, Romilly
la vit tourner la tête, voir le leurre en plein ciel - replier
les ailes et descendre en piqué sur le leurre, le saisir
du bec et des serres, et s'abattre aux pieds de Romilly. Romilly
donna le coup de sifflet que le faucon devait apprendre à
associer à la nourriture, et reprit Preciosa sur son gantelet,
arrachant la viande au leurre.»
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Extrait
n°3 :
«Elle
tendit la main vers le chaperon de Preciosa, puis hésita,
voulant manifester à Alderic la courtoisie due à
son hôte.
- Ferez-vous voler le premier, Seigneur Alderic ?
Il sourit et secoua la tête.
- Nous sommes aussi impatients que vous de voir les résultats
du dressage de Preciosa.
D'une
main tremblante, elle décoiffa Preciosa, regardant l'oiseau
hérisser ses plumes. Maintenant, c'était le test,
non seulement de son dressage, mais de l'acceptation du dressage
par l'oiseau, de son lien avec Romilly. Elle sentit qu'elle ne
supporterait pas que ce faucon qu'elle aimait, avec qui elle avait
passé tant d'heures douloureuses et angoissantes, s'envole
pour ne jamais revenir. Une idée lui traversa l'esprit
: Est-ce ce que ressent Père maintenant que Ruyven est
parti ? Et pourtant, elle devait le faire voler librement, sinon,
ce ne serait rien de plus qu'un oiseau apprivoisé dans
une cage, et non plus un faucon sauvage. Mais elle sentit les
larmes lui monter aux yeux quand elle leva son poing et sentit
Preciosa hésiter un instant, puis, d'un puissant coup d'ailes,
s'envoler.
Elle
s'éleva vers le ciel, et Romilly, l'esprit plein de pensées
anxieuses - volera-t-elle bien ? cette longue inactivité
n'aura-t-elle pas perturbé ses capacités ? -, le
regarda monter. Et quelque chose en elle monta avec Preciosa,
sentit la joie indicible du soleil matinal sur ses ailes, la lumière
éblouissant ses yeux alors qu'elle montait, s'élevait,
planait, tournait et disparaissait.
Romilly
expira longuement. Elle avait disparu, elle ne reviendrait pas...»
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Extrait
n°4 :
«De
nouveau, elle leva les yeux. Curieux. Le faucon planait toujours
dans le ciel. Elle se demanda si ce pouvait être le même
que tout à l'heure... non. Il devait y avoir beaucoup de
faucons dans ces montagnes, et partout où l'on portait
les yeux, on devait forcément rencontrer un oiseau de proie
ou un autre. Un instant, il lui sembla qu'elle planait, qu'elle
voyait le plus haut faîte blanc de la Tour et une faible
lumière bleue venant de l'intérieur... elle eut
un vertige, ignorant si c'était le faucon ou elle qui voyait...
Elle se ressaisit et rompit le rapport. Ce serait trop facile
de se perdre dans cette communion avec le ciel, le vent et les
nuages...
Elle
rejoignit son cheval et le sella péniblement. Au moins,
il avait mangé. Elle dit tout haut :
- Je voudrais presque pouvoir manger de l'herbe comme toi, mon
beau...
Et le son de sa propre voix la fit sursauter.
Un
autre son lui répondit : le cri aigu et strident d'un faucon
qui tombe sur sa proie - oui, le faucon avait trouvé une
proie, car elle sentait, quelque part dans son esprit, le sang
chaud qui coulait, sensation qui lui mit l'eau à la bouche
et réveilla sa faim. Le cheval recula nerveusement, et
elle tira sur les rênes en lui parlant doucement - puis
des ailes sombres passèrent devant ses yeux. Machinalement,
elle tendit le bras, sentit l'étreinte cruelle des serres
sur sa peau, et retrouva le rapport familier.
- Preciosa, s'écria-t-elle, éclatant en sanglots.
Comment,
pourquoi, son faucon l'avait-il suivie à travers son errance,
elle ne le saurai jamais. Le cri strident et les ailes battantes
l'arrachèrent à ses larmes, et elle s'aperçut
que le faucon avait dans les serres un oiseau de bonne taille,
encore tiède.»
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