« Jordi
prit son luth, en tira des notes gaillardes et puis sinterrompit.
-
Messire, risqua-t-il, jai une grâce à vous
demander.
Amiel
senfonçait dans leau dont il avait apprivoisé
la brûlure. Après les vigoureux assauts maltraiteurs
de quintaine et la chevauchée dans le lourd équipement
guerrier, il goûtait le plaisir du corps libéré.
Il posa la nuque sur le bord de la cuve et ferma les yeux. Jordi
comprit que cétait sa façon découter.
-
Vous aviez une vieille serve, au bout du village. Depuis longtemps
elle ne pouvait plus travailler beaucoup, mais elle élevait
un enfant trouvé un soir au pied de la fontaine. Cette
femme est morte.
-
Tu parle de la Ragonne ?
-
Tout juste, messire. Lenfant est jeune encore
Jordi
semblait hésiter maladroitement et puis il ajouta :
-
Onze ans, peut-être
Peut-être douze.
Amiel
ne disait rien.
-
Donnez-le-moi, messire.
-
Ce sont deux bras que tu menlèves, répliqua
le seigneur.- Je lui apprendrai de belles jongleries et toutes
les chansons de Quéribus, de Puivert et de Peyrepertuse.
-
Comment me paieras-tu, vagabond ?
-
En chansons, gentil sire, autant que de vie jaurai.
-
Daccord, mais tu y ajouteras un faucon.
-
Un faucon ! Aurait-on pu imaginer quun serf eût
tant de prix ?
Le
châtelain jeta un regard au jongleur.
-
Que tu dénicheras hors de mon fief, brigand !
-
Messire, vous connaissez la loi féodale. Nul ne peut dénicher
un oiseau de proie sil nest fauconnier ou maître
des autours.
-
Te voici bien scrupuleux pour un baladin ! Vous autres, gens
de passage, ne nous avez guère habitués à
ce genre de protestations. Allons, tiens, bois ce vin et ne te
fais pas plus honnête que ne le veut ta condition. Ce sera
un faucon tiercelet. »